Quelle est votre langue maternelle ? Il m’est arrivé à plusieurs reprises de faire face à cette question en remplissant des formulaires administratifs ou dans un cadre moins formel. Et à chaque fois, j’ai été hésitante. Pourtant la réponse est claire et évidente. Ma langue maternelle est le français. C’est la première langue que j’ai appris à parler, celle par laquelle je me suis construite en tant qu’individu. La définition même du concept. C’est en cette réponse que réside tout mon malaise.
Je ne suis pas française. Mais comme bon nombre de camerounais de mon époque, mes parents ont bien voulu m’apprendre la langue de Molière en premier. Déjà parce que c’est l’une des langues officielles de mon pays, ensuite par elle, j’ai eu plus facilement accès à la science, l’instruction et tous ses corolaires. Je les remercie pour ce choix. Cependant, j’aurais aimé qu’il en soit autrement. Sur le plan officiel, comme dans notre cocon familial. J’aurais souhaité être exposée en premier en une de nos langues vernaculaires, le français ne serait alors que l’outil pour me connecter au village planétaire. J’aurais aimé rattacher mon identité à la langue Bassa, Batanga, Njowi ou une toute autre parmi les centaines parlées dans notre pays. Car la langue est bien plus qu’un ensemble d’idiomes, c’est un vecteur culturel, un marqueur d’identité.
La langue porte en elle la mémoire collective d’un peuple, et cesser de l’employer au profit des autres ou la reléguer au second plan c’est la faire mourir et perdre la richesse qu’elle renferme. Une langue est marquée par l’environnement où elle s’épanouit. C’est en voulant nommer les choses qui nous entourent, les faits de notre quotidien que les mots se créent. J’ai appris récemment par exemple que les saisons de l’année chez les Manguissa (groupe ethnique présent sur les rives de de la Sanaga dans la Lekie) sont associées à l’apparition d’un certain type de termites pendant l’année. En dehors des grandes saisons sèches et pluvieuses bien connues sous les tropiques, les Manguissa connaissent 2 autres saisons dans l’année l’Assil et l’Assomblo dont les noms désignent en fait des termites qui migrent au cours de ces périodes-là. Une façon de nommer les choses qui rythment la vie de ce peuple, qui leur est propre.
Je me rappelle, lors de ma visite du musée ethnographique des peuples de la forêt à Yaoundé, avoir eu une belle discussion avec le guide au sujet de l’impact des langues étrangères sur le vocabulaire Fang-Beti. Je lui faisais remarquer que beaucoup d’objets et concepts qu’il avait présentés avaient une consonnance anglophone. Qu’était-il advenu des appellations originelles ? Illustration avec le découpage horaire de la journée. Culturellement les Beti connaissent les découpages du temps suivants : le matin, la mi-journée, le soir et la nuit. Les marqueurs du temps tels que l’heure, la minute, la seconde sont des emprunts. Pourquoi procédaient-ils ainsi ? Cela leur permettait-il d’être plus connectés à la nature ? D’être plus patients et mieux apprécier le temps qui passe ? La lecture de l’heure à la façon occidentale et cet ajout dans le vocabulaire Fang Beti a-t-il été sans conséquence ?
L’objectif de cette mise en lumière n’est pas de nier les apports que les brassages linguistiques peuvent avoir. Mais de mettre en avant le fait que si après le mélange, une entité doit s’effacer il y a de fortes chances que cela ne se limite pas à de simples mots mais que cela prenne des proportions plus grandes. Perdre sa langue, au propre comme au figuré, c’est perdre un peu de nous. Je vois déjà venir ceux qui viendront me dire que sans le français et l’anglais au Cameroun, on s’égarerait au milieu des 200 et quelques groupes ethniques qu’il compte. Dites vous bien que ces mêmes groupes cohabitassent avant l’invasion occidentale. Et même, pourquoi nous est-il plus facile d’adopter une langue étrangère que d’ériger une des nôtres en langue officielle?
Mon point de vue est le suivant : la langue de l’autre devrait être employée, justement pour communiquer avec l’autre, apprendre de lui. Quel intérêt avons-nous à parler français, si ce n’est pas pour communiquer avec un français ? Ne semble-t-il pas plus logique qu’un Maka s’exprime en Maka pour se faire comprendre de son semblable ?
Après avoir jeté la faute aux les colons, puis à nos parents pour le fait de ne pas être plus portés vers nos langues vernaculaires, il serait intéressant de se donner les moyens pour y remédier. Déjà en commençant par leur enlever le statut de patois, qui n’a pour but que leur dévalorisation en les reléguant à un rang inférieur dans la hiérarchie des langues. Ensuite en mettant en lumière les idées qui visent à les promouvoir. Il existe bon nombre d’initiatives qui vont dans le sens de la promotion des langues vernaculaires et véhiculaires du Cameroun. Je pense notamment à :
- l’application MAYEGE qui propose un apprentissage de plus de 7 langues camerounaises
- le groupe Kontritok qui propose une collection de livres ludiques pour les tout petits a laquelle il ont associe des vidéos par thème
- Des sites comme apprendrelengemba.com
Sans compter les nombreux livres, groupes whatsapp et autres classes en ligne et physiques qui existent pour nous apprendre à rester connecter via nos langues et cultures locales.
La langue est un code qui permet de comprendre le monde qui nous entoure, comprendre ses semblables et apprendre aux autres peuples qui nous sommes. Elle permet de construire sa pensée et de partager sa vision du monde aux autres. Les peuples du Cameroun aussi divers soient-ils doivent travailler à conserver leurs dialectes car c’est un facteur de cohésion et d’unité. Il est du devoir de chacun de les promouvoir, les parler et les transmettre.
Les langues nationales devraient être une priorité de notre système éducatif.
Dès la maternelle, les enfants devraient découvrir les contes, les chansons et autres citations en langues locales.
Il a été créé une filière langue nationale mais, comme d’habitude on tourne en rond.
Comme un Penseur disait une société qui se ment, n’apprend rien. Elle est condamnée au chaos permanent.
Merci madame, pour ce travail d’éveil.
Très belle initiative, et en mon sens elle devrait être poussée afin d’obtenir une seule et même langue nationale pour le peuple camerounais.