En juin 2022 j’ai mis fin à mon aventure entrepreneuriale après 6 mois d’activités. Une décision prise sans aucun regret mais avec la conviction de faire revivre le projet à travers moi ou quelqu’un d’autre dans un futur qui ne saurait être qualifié pour le moment. Les raisons qui ont conduit à cet état des choses sont à la fois évidentes mais profondes, toute personne qui se lance dans la création d’entreprise devrait en tenir compte.
La lecture à Douala n’est pas le loisir le plus encouragé. Entre les bibliothèques quasi inexistantes, les espaces culturels concentrés au centre-ville et les libraires qui sont non seulement rares mais avec des offres peu variées, on a vraiment beaucoup de mal à s’épanouir en tant que lecteur dans cette ville. Le phénomène est encore plus alarmant pour le public jeune : les enfants en l’occurrence. C’est suite à ce constat que l’idée m’est venue de mettre sur pied un service de bibliothèque mobile pour les enfants de 6 ans et plus. L’objectif était de faire venir les livres vers les enfants, tout en épargnant les parents de la contrainte de se déplacer vers une bibliothèque. C’est ainsi qu’est née « la mobilothèque ». La mission de ce projet était de démocratiser la lecture auprès des tous petits de la ville de Douala. Ma vision : former les citoyens de demain ouverts d’esprit et armés pour changer de paradigme.
L’offre de « la mobilothèque » avait été pensée pour mettre à la disposition des enfants de plus de 6 ans, quatre livres au maximum par mois (à raison d’un livre par semaine). Le choix du livre devant s’effectuer par le biais d’un catalogue physique et électronique. Les réservations devaient avoir lieu en semaine (au plus tard vendredi 18 h) par téléphone (appel, SMS, ou messagerie WhatsApp). Le week-end étant consacré aux livraisons. A long terme, il était prévu de développer une application. Mais avant il fallait faire un pilote, à défaut d’une étude de marché.
Pour le déploiement de la phase pilote, j’avais choisi comme site : mon quartier de résidence. Pour deux raisons simples : premièrement ce serait moins couteux en termes de logistique, deuxièmement c’est une zone a fort potentiel économique. Les livres utilisés étaient de ma bibliothèque personnelle : environ 50 livres pour tout âge majoritairement en français. Le catalogue établi décrivait chacun d’eux : auteur, résumé, thème abordé, âge recommandé. Le projet a effectivement débuté en janvier 2022 par la prospection.
Pendant un mois, je me suis prêtée au jeu du porte à porte, expliquant aux parents le bien-fondé de la lecture, l’offre de « la mobilothèque » et l’impact qu’elle aurait sur leurs enfants. De cet exercice trois profil se sont dégagés :
- Les sceptiques : la lecture, ils n’en voyaient pas l’intérêt.
- Les réticents : ils adhéraient au concept mais voyaient la contrainte de devoir lire avec les enfants ou alors auraient préféré avoir une salle de lecture a proximité pour y déposer les enfants
- Les convaincus : ceux qui achetaient totalement l’idée.
Sur la quarantaine de ménages prospectés, « la mobilothèque » a eu 4 clients les premiers jours. Ce qui était une victoire ! Le prix de l’offre avait été fixé à 2000 FCFA l’abonnement mensuel sans engagement. Chaque inscription donnait droit a une carte de membre ou était mentionné l’historique de lecture de l’enfant avec les dates de retour exigées des livres en possession de l’abonné. Tous les dimanches, je sillonnais mon quartier à pied afin de déposer les commandes et récupérer les livres de la semaine en cours. Mon moment le plus satisfaisant était la discussion avec les enfants sur ce qui les a marqués durant leur lecture. A dire vrai, c’est la seule chose qui m’a permis de tenir 6 mois, la sensation de contribuer à leur épanouissement.
La phase pilote d’un projet entrepreneurial a pour but de tester une idée de projet dans les conditions réelles, à échelle réduite avant le lancement officiel. Il est question de s’assurer que le projet est viable avant d’investir plus. Dans le cas échéant, elle a clairement montré que le projet ne serait pas viable dans les conditions d’exploitation qui prévalaient à cette époque. Raison pour laquelle il a été mis en veille prolongée. Le pilote avait amplement rempli sa fonction : mettre en lumière les failles du projet.
La première faille du projet était l’effectif : une seule personne n’était pas assez. Prospection, suivi des commandes, livraisons, gestion des comptes. C’était non seulement épuisant mais surtout risqué. Une indisponibilité de ma part entrainait automatiquement l’effondrement du système. Ce n’est pas le type de projet où l’on peut faire tout, seul même pour un début. La livraison des livres par exemple devait absolument être déléguée pour garantir la continuité du service tout au moins. L’effectif des livres aurait aussi été handicapant sur le long terme. La cinquantaine de livres initiale devenait difficile à gérer a l’arrivée d’un nouveau client. Ce d’autant plus qu’il n’y avait qu’un seul exemplaire de chaque livre.
La deuxième faille du projet était le coût des charges. Le montant de 2000 FCFA fixé pour l’abonnement avait beau être défini sur une base logique, il n’en demeure pas moins qu’il n’était viable. Les frais d’abonnement permettaient à peine de couvrir que l’achat de nouveaux livres. Les autres charges n’avaient absolument pas été prises en compte. Surtout les couts lies à la prospection : impression des flyers, forfait internet, crédit de communication. Ceci, sans compter sur le recouvrement qui était difficile. Malgré le prix qui étaient accessibles, les parents abonnés ne payaient pas. D’autres négociaient des rabais. Et dire que les prix étaient si bas pour permettre même aux moins nantis d’accéder au service. C’était une initiative sociale en fait, mais pas gratuite non plus. Pour que le projet soit prospère a grande échelle il faut un financement supplémentaire a déterminer en fonction des objectifs à atteindre.
La troisième faille du projet était la faible disponibilité des livres en anglais. Beaucoup de parents aujourd’hui sont conscients de l’importance de l’anglais dans le parcours académique de leurs enfants. Ne pas avoir assez de livres en anglais a fermé la porte a une bonne partie de la clientèle potentielle. La section anglophone est un segment important. Ces 3 failles doivent faire l’objet d’une étude approfondie pour permettre un redéploiement efficace.
Commencer « la mobilothèque » par le pilote m’a permis d’évaluer la solidité du projet en engageant un minimum de ressources. Cela a permis de comprendre les axes sur lesquels travailler pour garantir le succès sur une longue période. Cela a été très bénéfique. Non seulement du point de vue du projet mais aussi sur le plan personnel, j’ai dû développer des aptitudes que je n’avais jamais envisagées. Cette expérience m’a beaucoup appris sur moi. Notamment l’amour pour le contact humain pendant les prospections (surtout essayer de les convaincre), et le désamour pour la gestion administrative (traitement des commandes, inventaire).
Le projet est pour le moment en stand-by, la réflexion se poursuit pour le rendre solide en corrigeant tous les dysfonctionnements relevés. Et même si demain, je ne m’y remets pas, l’expérience m’aura appris bien des choses qui se résument en ces mots de De Damascius : le tout est de commencer. Le reste suivra si l’on s’impose la discipline qu’il faut.